Bijoux indiscrets·Et mon coeur fait boum·L'Art du Roman

Mr d’Emma Becker

Monsieur, aussi loin que remonte ma mémoire a toujours sous-estimé la réactivité d’un cœur aussi jeune que le mien.

Ellie est jeune, belle, séduisante, et cumule les « amants ». Beau palmarès pour un petit bout de femme au tout début de sa vingtaine. Passionnée de littérature érotique (attention, les grands, les maîtres du genre, les génies de la littérature libertine), Ellie va rencontrer Monsieur, un collègue chirurgien de son oncle, brillant et aussi séduisant que marié. D’abord épistolaire, leur relation cède à la sphère virtuelle pour laisser s’exprimer toute sa puissance charnelle. Ellie est crue, n’offre pour seule fioriture à ses récits érotiques qu’une poésie tranchante et brillante. Chaque mot sonne juste et sublime les plus grands vices et la subtile plume de mademoiselle Becker hisse cet homme sur un majestueux piédestal…

Et moi, tu crois que j’aime être ça ? Être une huître quand tu n’es pas là, constamment ouverte à attendre tes messages et tes appels, à les attraper au vol ? Être une chatte en chaleur qui se tortille croupe en l’air sur le mur en bas de chez toi, miaulant à s’en fendre l’âme avec sa petite fente trempée, attirant sans le vouloir tous les mâles à la ronde – et qu’est-ce que je peux bien faire, dans mon obsession morbide de toi ? Je veux dire, à part les laisser me prendre pour passer le temps en mourant d’envie de leur marbrer la gueule à grands coups de griffes ? Tu crois que ça me plaît, me forcer à ne pas penser à toi des journées entières, avec l’espoir dérisoire que mon silence tuera le tien ? ça ne marche jamais tous ces efforts. C’est comme ça, je me suis noyée dans ton ombre […] Dernièrement, à part manger ou dormir; je ne fais rien dont je ne puisse être fière, rien qui ne me rattache pas à toi […] J’ai vingt ans et je pourrais bouffer le monde, mais je ne peux pas parce que c’est toi qui me bouffes. Qui n’a pas une vie très facile en ce moment, à ton avis? Qui en crève le plus ?

Très vite, on désire Monsieur, on admire Monsieur, on soupire du charisme fou de Monsieur, on se laisse prendre au jeu de Monsieur, et on hait Monsieur quand sa lâcheté vient ternir son incroyable aura sexuelle. D’un simple jeu, cette relation unique finira par devenir une drogue puissante pour demeurer une histoire que la narratrice gardera ancrée en elle, profondément, infiniment…

Le concept de parfum est si traître : des milliers d’inconnus partagent avec des êtres aimés une odeur que vous croyez singulière. Sans le savoir, ils marchent non loin de vous, vous frôlent et s’en excusent, et vous restez là, exsangue. Vide à en pleurer, envahie par des hordes de souvenirs, ce que ce parfum signifiait, ce qu’il suggérait de battements de cœur et de peau si familière. Voilà qu’à présent c’est tout un monde olfactif qui s’égare dans des cheveux et derrière des oreilles anonymes.

Lentement, insidieusement, les sentiments prennent le pas sur le badinage et se nouent autour de la gorge de la jeune femme pour mieux la briser.

La vie que mènent les amants dans la littérature lui paraît trop belle, trop excitante pour rentrer dans le moule du quotidien. Mais ce qui semble héroïque ou romanesque dans un bouquin de Stendhal n’est qu’une longue souffrance pour les gens comme moi, qui ne font jamais que vivre.

Un roman qui n’est pas à réduire à de « vulgaires pages de cul ». (Et dieu sait s’il y en a…) Ce serait fermer les yeux sur une écriture délicieuse et incisive… Une jolie surprise avec ce titre qui sera sans conteste un de mes coups de cœur de l’année.

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